Conjoints aidés

Trois pièges relationnels à déjouer

Axelle Huber 4 juillet 2022
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Chère Fabuleuse aidante,

Elle avait bien sûr la meilleure intention du monde en te disant ces mots ou en accomplissant ces gestes. Elle ne voulait pas te blesser… Et pourtant le mal est fait. Tu t’es pris le scud, la parole toxique en pleine poire. Et vlan !

Je ne vais pas aujourd’hui les passer tous en revue, ces pièges de la relation, mais me concentrer sur trois d’entre eux : la comparaison, l’infantilisation et l’idéalisation.

La comparaison

Ce travers, tu le connais probablement toi-même pour t’y risquer un peu trop souvent à ton goût. Peut-être tombes-tu de temps en temps (ou trop souvent ?) dans le piège de te focaliser sur ce qui te manque, sur ce que tu penses que l’autre possède peut-être et non pas toi, au lieu de regarder ce que tu as TOI et ce que tu es TOI.

Travers malheureusement bien classiques, risquant alors de t’envahir et t’entraîner dans une forme de plainte sèche, de tristesse, de perte d’estime de toi-même, d’auto-condamnation, et même de désespoir.

J’ai une méthode à te proposer : arrêt sur image, prise de recul et une énorme dose d’auto empathie.

Je veux ici parler avant tout de l’entourage qui compare les souffrances, par habitude de celui qui juge ou bien avec l’intention positive de te remonter le moral, te faire relativiser et de te montrer qu’ailleurs c’est peut-être un peu moins vert qu’il n’y paraît ou même carrément noir et cauchemardesque.

Cela donnerait des remarques du genre : « Tu sais les untel, eh bien leur enfant a un souci de santé encore pire que celui de ton fils ! » ou bien encore « Ce serait plus dur si tu avais été mariée cinquante ans et non pas seulement dix ! » 

Genre en fait tu ne le sais pas mais tu as de la “chance !”

Ou bien : « Pour toi c’est plus facile que pour eux, car, eux, ils n’ont pas d’aide ». Et enfin les : « Je ne te propose pas mon aide car je me réserve pour ceux qui en ont plus besoin » et « Arrête de te plaindre, y’a pas mort d’homme ».

Genre je te culpabilise juste un peu !

Il y a aussi l’inverse : « Je ne vais pas me plaindre à côté de ce que tu as vécu toi ! »

Genre je n’ose même plus te parler de moi, de mes tracas qui font partie de ma vie et je t’ostracise, je me coupe de la relation avec toi. 

Et d’asséner des soi-disant “vérités” et des jugements assassins, à l’emporte-pièce, qui te semblent bien péremptoires et/ou percent ton cœur de leurs flèches empoisonnées.

Nombreux sont ceux qui se posent en juge arbitre du degré de souffrance !

Celui-là rafle la mise avec 5 cm de plus et celui-ci est champion toute catégorie avec 20kg de souffrances bien tassées ! Alors, on court après la médaille de celui qui a le plus souffert ? On fait un concours de mesure ? Ou alors mettons-y de l’humour pour « mériter de manger la dernière part de brownie », comme le tente la belle Julia Roberts dans le célèbre film Coup de Foudre à Notting Hill.

Non, ça ne marche pas comme ça, nul autre que toi n’est à ta place, ne vit ce que tu traverses. 

Toutes nos histoires diffèrent mais nos êtres aussi. Nous n’avons pas tous les mêmes seuils de tolérance à la souffrance. Telle épreuve peut nous paraître dérisoire ou insurmontable quand ce sera l’inverse pour le voisin.

Ceux qui comparent ne savent pas, ne soupçonnent pas toujours le mal qu’ils te font avec ces paroles. Ils te nient le droit à la souffrance en posant ces jugements : « C’est plus que ou c’est moins que ». Toutes les émotions et toutes les souffrances méritent d’être déposées, exprimées et entendues.

C’est ce que je t’invite à faire, sachant que ni toi ni l’autre n’avez le monopole de la souffrance. Tu permettras ainsi à tes proches de t’écouter, te soutenir, t’encourager, te guider et de se transformer en ton meilleur avocat au lieu de se poser en juge arbitre.

L’infantilisation

Il est un autre poison qui peut envenimer la relation à tes proches, celui de l’infantilisation. Peut-être le connais tu bien aussi ce piège, chère Fabuleuse, pour y tomber toi-même parfois en adoptant cette posture infantilisante face à ton proche aidé, surtout si ce dernier n’est pas ton enfant. Bien sûr, je t’invite alors à t’interroger et voir comment changer cela. 

Mais tu es peut-être aussi parfois victime de cet écueil. 

Lorsque tu ouvres la porte de ta maison pour te faire aider, au sens propre comme au figuré (ta maison intérieure !), il peut arriver que certaines personnes, là encore le plus souvent bien intentionnées, agissent avec toi en se mettant en position haute, supérieure, en “plus” et en te mettant en position basse, inférieure, en “moins”.

  • Elles t’infantilisent. Tu peux tenter de repérer les signaux de ces tentatives d’intrusion et/ou d’infantilisation. Souvent, ces personnes se mêlent de — presque — tout et se permettent de donner des conseils que tu n’as pas forcément sollicités. Tu as pu leur demander de l’aide, mais elles sortent de leur rôle, agissent de façon excessive. 
  • Elles s’adressent souvent à toi en usant d’injonctions autoritaires, d’ordres peu ou pas négociables, d’informations négatives ou moralisatrices, édictés d’un ton maternant, souvent avec des mots simples, voire un peu enfantins. Tu connais par exemple la personne qui, voulant absolument t’aider, se met à t’explique comment gérer la situation tendue avec ton enfant malade, que tu ne dois pas « laisser la montagne de linge sale déborder du panier », que « tu ne dois évidemment pas laisser l’ado te claquer la porte au nez » et qu’il faut « absolument faire comme ci ou comme ça ! » Elle te déresponsabilise et semble t’enfermer dans une étiquette de “petite chose fragile”.
  • Elle t’envoie des signaux du style : « Tu n’es pas capable de prendre cela en charge,  alors je fais à ta place et/ou je décide pour toi ». Et non, ça ne t’aide pas. Mais alors pas du tout ! Au contraire, tu te sens peut-être dévalorisée.

Tu vois le truc ? Parfois tu leur fermes la porte au nez, ce qui n’empêche pas certaines personnes de rentrer par la fenêtre. Et parfois tu leur ouvres grand ta maison et ton cœur. Oui, tu as besoin d’aide et nous verrons dans un prochain article comment tu peux leur demander et recevoir cette aide. Il arrive hélas que sous couvert de nous aider, d’être protectrices, rassurantes, conviviales, et aidantes, ces personnes aient une attitude qui nous enfoncent la tête sous l’eau. Si tant est qu’elles aient une tendance à jouer le sauveur et toi la victime, la relation devient compliquée, paternaliste et le triangle dramatique — où chacun tourne entre les rôles de persécuteur/sauveur et victime — peut s’installer et  durer. 

Tu vas trouver un équilibre entre être soutenue, entre recevoir ces attentions qui font tant de bien et l’infantilisation qui laisse l’autre prendre une place qui n’est pas la sienne. 

Peut-être ne te sens-tu pas capable de faire ceci ou cela. Que cela soit momentané ou non. Et c’est ok de ne pas se sentir capable.

La capacité de réussir à faire une chose ne dit pas tout l’être et certainement pas la valeur de l’être.

Alors je t’invite à te protéger de celles qui auraient tendance à te juger, à présumer de tes forces et à vouloir t’infantiliser. Tu peux verbaliser tes ressentis et mettre des limites, faire preuve de fermeté et de douceur pour toi comme pour elles, rappeler que cette aide est ponctuelle. Qu’elle n’autorise pas à agir sans ton aval ou en te mettant devant le fait accompli. Et exprimer, éventuellement avec humour, que tu as pu leur demander de l’aide (ou pas) et non pas de te sauver.

Et tu peux aussi faire appel à l’aide de personnes ressources — et non toxiques — pour toi. Oui, tu peux repérer et discerner ce qui est bon pour toi et ceux qui sont bons pour toi.

L’idéalisation

À l’inverse de l’infantilisation, je veux évoquer ici le piège de l’idéalisation qui guette parfois tes proches et toi-même. En effet, il peut exister un décalage entre ta réalité — ce que tu vis et ressens — et ce qui est perçu par autrui. Je m’explique. Tes proches, tes relations, peuvent estimer en conscience que tu n’as pas besoin d’eux, que tu « assures un max », que tu es « carrément épatante » et « tellement courageuse ». Ils te parent de toutes les qualités et te mettent sur un piédestal. 

Peut-être sont-ils tombés dans le piège de ceux qui jugent, étiquettent, quand bien même ce sont des étiquettes positives.

Ou peut-être parfois, dans un mécanisme de défense, ont-ils travesti la réalité car cela les arrange. Cela peut leur éviter, souvent inconsciemment, d’avoir à s’investir auprès de toi pour t’aider. Peut-être toi-même es-tu tombée dans le piège de celle qui n’a rien à demander ou refuse de demander de l’aide pour des tas de raisons sur lesquelles tu peux aussi mettre la lumière. Peut-être aurais-tu intérêt à t’interroger — avec douceur et bienveillance encore et toujours ! — à l’image que tu donnes ou veux donner. 

Que tu sois victime de comparaison, d’infantilisation ou d’idéalisation par tes proches,

tu peux embarquer tous tes proches dans ta “galère” de Fabuleuse aidante pour chanter avec toi :

« Toi, plus moi, plus eux, plus tous ceux qui le veulent,
Plus lui, plus elle, et tous ceux qui sont seuls,
Allez venez et entrez dans la danse. »

Toi plus moi, Grégoire



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Cet article a été écrit par :
Axelle Huber

Mariée en 2003, j’ai eu 4 enfants entre 2004 et 2008. En 2010, mon mari Léonard est diagnostiqué atteint de Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA). Le quotidien est parfois difficile entre ma vie d’aidante pour lui, nos 4 très jeunes enfants, le lancement de mon entreprise après 10 années d'enseignement. La maladie grignote du terrain et Léonard meurt en 2013. Je décide alors d’écrire un livre Si je ne peux plus marcher, je courrai (éditions Mame 2016), témoignage qui se veut un hymne à l’espérance au coeur des difficultés. J’interviens régulièrement sur les thèmes de la résilience, de l’espérance et me forme ensuite pendant 3 années au coaching. Je suis très heureuse aujourd’hui d’accompagner les personnes confrontées à la maladie, au handicap et au deuil — en individuel ou au groupe — sur les enjeux émotionnels, relationnels et de connaissance de soi afin de les aider à se réaligner avec leur élan de vie.

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